Témoignage de Sarah, maman d’Adrien, 5 ans, né à terme, et Joseph, 2 ans, né à 29 SA +3 en 2019.

Je suis maman de deux enfants. Adrien, 5 ans, né à terme, et Joseph, 2 ans, né à 29 SA +3 en septembre 2019. L’arrivée de Joseph a bouleversé toute la famille.

Enceinte de Joseph, j’ai été arrêtée pour MAP (menace accouchement prématuré) à 27SA. Une semaine plus tard, j’ai un épisode important de contractions et je me rends à la maternité. L’équipe médicale décide de m’hospitaliser et je n’ai donc pas pu rentrer à la maison. Ce qui a été difficile pour Adrien, 3 ans et demi à l’époque, qui est rentré de l’école et ne m’a pas trouvée à la maison. Il a eu le sentiment que j’avais disparue. Il est venu me voir à l’hôpital et était inquiet de me voir perfusée et de savoir que j’étais « retenue » à l’hôpital. De mon côté, je culpabilisais de ne pas être auprès de lui alors qu’il venait de faire sa rentrée depuis quelques jours. Quatre jours après le début de mon hospitalisation, j’ai rompu la poche des eaux et j’ai accouché le lendemain matin. La naissance de Joseph aussi tôt a été un véritable choc pour nous et nous ne savions pas comment l’annoncer à notre entourage, notamment à Adrien. Est-ce qu’on lui dit tout de suite ? Est-ce que l’on attend de savoir comment ça se passe ? Mais et si Joseph ne survit pas et qu’on ne lui a encore rien dit ? On a donc décidé de lui annoncer le soir même, c’est mon mari qui est allé le chercher chez la nounou et qui l’a félicité d’être devenu grand-frère.

Adrien est venu le lendemain après-midi pour me voir à la maternité, il est rentré dans la chambre, il a regardé autour de lui et m’a demandé où était le bébé. Je me suis sentie très démunie, je lui ai expliqué que son petit frère était dans l’hôpital, quelques étages en dessous, dans une sorte de maison chauffante pour finir de bien grandir car il était né trop tôt. Il a eu l’air assez sceptique, j’avais le sentiment qu’il se disait « on me dit que je suis devenu grand-frère mais il est où ce bébé dont me parle et qu’on ne me montre pas ». Il n’a pas eu l’air convaincu par mes explications.

Nous avons demandé à l’équipe médicale quand est-ce qu’Adrien pourrait venir voir son petit frère pour le rencontrer. On nous a répondu quand Joseph serait plus stable. Mais cela veut dire quoi « stable » ? Finalement cela a pris du temps qu’il soit plus stable. Pendant la phase de réanimation, je partais donc tous les matins pour l’hôpital et rentrais tard le soir pour voir Adrien. J’étais en permanence tiraillée entre mes deux enfants, je voulais passer le plus de temps possible à l’hôpital sans pour autant délaisser mon aîné. Chaque départ de l’hôpital était un déchirement et quand j’arrivais à la maison je n’arrivais pas à m’occuper d’Adrien, je n’étais pas disponible mentalement. J’ai beaucoup culpabilisé de ce que j’infligeais à Adrien qui percevait mon angoisse et mon « absence ». Je me souviens de lui me disant, du haut de ses 3 ans, qu’il « avait peur pour bébé ».

Au début, nous n’osions pas montrer de photos de Joseph qui avait des tubes partout et notamment son cathéter sur la tête. On trouvait les photos trop impressionnantes mais avec le recul on aurait dû car ça aurait au moins rendu l’existence de Joseph plus tangible pour Adrien. Tout devait lui sembler tellement irréel. Et moi j’étais tellement angoissée à l’idée de me dire mais « et si Joseph n’est jamais plus stable et décède » et s’il décède sans qu’Adrien ait pu le voir en vie. Cette pensée me terrifiait. Comment expliquer à Adrien « tu as eu un petit frère, il est né, il est mort, mais toi tu ne l’auras jamais vu en vie »…

Joseph a commencé à être plus stable au bout de 15 jours et l’équipe nous a parlé d’une première rencontre mais finalement il a été transféré en soins intensifs quelques jours plus tard. Dans le nouveau service les visites étaient plus libres, la fratrie pouvait venir sans contraintes. Nous avons organisé la rencontre le premier week-end qui a suivi l’arrivée de Joseph dans le nouveau service. Nous avons bien expliqué les règles d’hygiène en amont, lavage des mains, blouse, masque et avons rigolé avec Adrien en disant qu’on était une famille de super héros, la famille masquée. La rencontre a été courte, Adrien est entré dans la pièce et l’a littéralement inspectée. Il a regardé le berceau chauffant, a vu son petit frère sans trop s’attarder, a demandé ce que c’était que l’écran avec le scope, a regardé dans la chambre et vu qu’il y avait un autre bébé. Nous avons fait quelques photos et au bout de 10 min, il a dit « c’est bon, on peut y aller ». On a eu le sentiment qu’il avait vu ce qu’il y avait à voir, son petit frère existait bien, il s’agissait d’un vrai bébé, avec des mains et des pieds, dans une vraie chambre.

Il y a eu un avant et un après ce jour-là pour Adrien. Il nous parlait de temps en temps de Joseph, de son doudou, de son infirmière, il a fait un dessin à afficher dans la chambre de Joseph mais n’a pas demandé à beaucoup le voir malgré les 2 mois d’hospitalisation qui ont suivi. En revanche il avait l’air beaucoup moins inquiet, bien sûr nous aussi on était moins inquiets car Joseph était sorti de réanimation, mais il n’y avait pas que ça. Son petit frère était devenu concret, et on a senti que ça l’avait beaucoup rassuré. De notre côté, nous aurions vraiment souhaité que la rencontre se fasse plus tôt, dès les premiers jours, même quelques minutes à travers la vitre de la couveuse, pour que Joseph existe pour nous mais pour son frère aussi.